dimanche 3 juin 2018

Se tenir ferme en notre néant


Tout notre être est Dieu.
Et donc, dans la conscience de cette dépendance totale, 
il n'y a pas à se soucier des dons ou de leur absence.
Il suffit de réaliser que nous n'avons rien par nous-mêmes,
et tout en Dieu et par Dieu.

Simon de Bourg-en-Bresse, comme tous les mystiques, conseille d'oublier ces dons pour les laisser vivre en Dieu, avec tout le reste :

Lorsque Dieu nous élargit des dons naturels et des grâces surnaturelles, nous n'en faisons aucun cas, sinon en tant qu'il veut être servi de nous par leur moyen. Nous n'estimons pas ces grâces en elles-mêmes, mais par leur moyen nous venons à reconnaître et estimer plus noblement leur donateur comme le seul et unique être. 
Nous rapportons toujours très fidèlement toutes ces grâces à Dieu comme à leur source unique. Nous ne nous élevons point pour elles, mais nous nous tenons toujours fermement dans notre néant. Nous ne nous éjouissons point en nous de ces grâces, mais en Dieu. Nous ne les recevons pas, ni les retenons en nous, parce que ce qui n'est rien ne peut recevoir en soi aucune chose. mais nous les recevons et conservons en celui qui est le seul et unique être. Nous ne nous représentons point si Dieu nous prive ou non de ces grâces. Les ayant ou ne les ayant point, nous demeurons également contents en notre néant.

Les Saintes élévations, Deuxième degré, chapitre V

jeudi 10 mai 2018

Transformation invisible


Importance du long terme.
Le changement, paradoxalement, 
n'est pas visible tant qu'on le guette.
Qui peut voir le têtard se transformer en grenouille ?
Si l'on prenait une image toutes les secondes, verrait-on une image de têtard,
puis une image de grenouille ?
Le changement est insaisissable sur le court terme.

Le chemin que tient l'Esprit de Dieu lorsqu'il entre dans une âme nous est inconnu.... C'est assez de savoir qu'on l'a reçu par les effets qu'il produit tous les jours et qu'on se sente plus forte qu'on était, sans savoir comment ni quand cette grâce est venue dans nous. Il est certain qu'elle ne peut être venue que dans l'oraison et par suite des fréquentes oblations que nous avons faites de notre cœur à Dieu.

On ne voit point croître les arbres ni le corps des hommes, quand bien même on les regarderait depuis le matin jusqu'au soir, mais on est étonné de voir ensuite leur accroissement. Il en est de même des âmes : elles avancent dans la vie de Dieu, bien qu'elles ne s'en aperçoivent pas, pourvu qu'elles soient fidèles à correspondre aux lumières et aux attraits de la grâce.

Jeanne de Chantal, Œuvres, II, p. 325)

Les douze noms de l'âme libre


La très merveilleuse
La non connue
La plus innocente des filles de Jérusalem
Celle sur qui la Sainte Eglise tout entière est fondée
L'illuminée de connaissance
La parée d'amour
La vive de louange
L'anéantie en toutes choses par humilité
La paisible en divin être par divine volonté
Celle qui ne veut rien si ce n'est la divine volonté
La remplie et accomplie sans nulle défaillance de divine bonté, par l'oeuvre de la trinité
Son dernier nom est : Oubli de soi

Marguerite Porete, Le Miroir des âmes simples

vendredi 2 mars 2018

S'entr'aimer


Peut-être dans le quartier du Marais, vers 1650 :

L'âme étant ainsi disposée et vide de toutes choses,
est tirée à de certains embrassements amoureux
que je ne sais comment exprimer
que par cette comparaison de deux personnes
qui s'entr'aiment ardemment,
qui se rencontrent à l'improviste et,
sans se dire une parole,
se jettent dans les bras l'un de l'autre,
et ne font rien que s’embrasser,
s'étreindre et serrer sur le coeur l'un de l'autre.
Et, après avoir été longtemps ainsi,
se regarder mutuellement
et dire quelques paroles entrecoupées et sans ordre.


Claudine Moine, couturière 

mardi 20 février 2018

J'ai trouvé ma liberté




Je n'ai plus rien à prétendre,
Plus d'amis à rechercher,
Plus de causes à défendre,
Plus de desseins à cacher :
Je ne saurais plus rien craindre,
Rien déguiser ni rien feindre.
Après avoir tout quitté,
J'ai trouvé ma liberté.
Aussitôt qu'à cette perte 
Mon esprit s'est préparé,
Ma poitrine s'est ouverte,
Et Dieu s'en est emparé :
Sus, monde, quittons la place,
Rien que Dieu, rien que la grâce.
Après avoir tout quitté, j'ai trouvé ma liberté.


Alexandre Piny, Cantiques spirituels de l'Amour divin, Paris, 1654

dimanche 18 février 2018

Une omelette pour Dieu

Il n'est pas nécessaire d'avoir de grandes choses à faire. 
Je retourne ma petite omelette dans la poêle 
pour l'amour de Dieu.
Quand elle est achevée, si je n'ai rien à faire,
je me prosterne par terre et adore mon Dieu
de qui m'est venue la grâce de la faire,
après quoi je me relève plus content qu'un roi.
Quand je ne puis autre chose, 
c'est assez pour moi d 'avoir levé une paille de terre
pour l'amour de Dieu.

Les moeurs de frère Laurent, p. 69, éditions du Seuil


vendredi 26 janvier 2018

Un rien de temps suffit

La vie intérieure se nourrit de touches brèves, mais répétées.
Ce sont des actes purement intérieurs de silence,
où simultanément l'âme se jette dans la mer divine
comme une onde qui aspire à la parcourir
à l'infini, sans jamais n'être rien autre que cette mer.


La brièveté de cet acte est décrite chez plusieurs mystiques.

Ainsi le Nuage d'inconnaissance :

"Un rien de temps, aussi petit soit-il, et le ciel peut être gagné et perdu....
Aussi donne toute ton attention à cette oeuvre, et à sa merveilleuse manière,
intérieurement, dans ton âme.
Car pourvu qu'elle soit bien conçue,
ce n'est qu'un brusque mouvement,
et comme inattendu,
qui s'élance vivement vers Dieu,
de même qu'une étincelle du charbon.
Et merveilleux est-il de compter les mouvements qui peuvent,
en une heure,
se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail.
Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là,
pour qu'elle ait,
soudain et complètement,
oublié toutes choses créées?"

(Nuage, chapitre IV)

Et Catherine de Gênes :

"L'amour qui est Dieu même,
instantanément et sans intermédiaire 
découvre sa fin et son repos suprême."

(Vie de C. de Gênes chap. III)

L'ermite Jeanne de Cambry décrit la jouissance de Dieu
jusque dans les œuvres extérieures :

"Or ceci se fait par une nudité et un délaissement
de toutes ses propres opérations et recherches trop actives...
[L'âme] vient à s'écouler 
jusqu'au plus profond abîme de son néant. 
Et lors au moment que l'âme et ses puissances sont anéanties,
par cette profonde humilité,
cet esprit, partie suprême de l'âme,
vient à s'envoler plus vite
qu'un éclair,
ou plus que le rayon du soleil,
jetant sa brillante lumière en quelque lieu
lorsque les obstacles en sont ôtés.
Ainsi donc cet esprit vient à s'envoler à l'union de son Dieu,
retournant à lui comme à son centre.
Car Dieu est vraiment le centre de notre âme..."

(Traité de la ruine de l'âme, livre III, chap. XVIII, éd. de 1645)

Enfin, Bernardino de Laredo :

"Surmontant le créé et sortant de lui,
l'âme va à Dieu par une élévation d'esprit subite et instantanée ;
elle ne demeure en chemin pas plus longtemps
que la paupière de l’œil ne prend à cligner,
à la façon d'un rayon du soleil,
lequel à l'instant qu'il naît à l'orient
arrive e, occident.
Ainsi doit faire l'âme qui en un instant
élève l'esprit par la voie de l’aspiration,
laquelle est plus légère et momentanée 
que le rayon même du soleil."

(Ascension du mont Sion, traduit par D. Tronc, Expériences mystiques, vol. II, p. 252)

Ainsi l'âme plonge en ce geste,
à la fois actif et passif.
Puis elle se laisse emporter par son écho,
comme le regard, qui suit la ride sur une eau calme,
va se perdre là où


cette onde se perd.

Se tenir ferme en notre néant

Tout notre être est Dieu. Et donc, dans la conscience de cette dépendance totale,  il n'y a pas à se soucier des dons ou de leur a...